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Les chilopodes : peu d’espèces, mais un rôle important dans les écosystèmes et un intérêt maximal en termes de « patrimonialité »

Les chilopodes : peu d’espèces, mais un rôle important dans les écosystèmes et un intérêt maximal en termes de « patrimonialité »

Les chilopodes en quelques mots

Les chilopodes (Chilopoda) constituent l’un des quatre groupes de myriapodes ou « mille-pattes ». Loin d’avoir 1000 pattes, ils possèdent en réalité de 15 à 177 paires de pattes selon les espèces.

Ces mille-pattes étant discrets, il vous faudra partir à leur recherche pour les connaître. Ils vivent au sol, sous les repaires naturels (pierres et bois morts en contact étroits avec le sol) et dans la litière, voire dans l’horizon supérieure du sol lui-même et dans les grottes. Lucifuges, ils sont surtout actifs la nuit.

Malgré cela, ils sont très faciles à rechercher de jour dans leurs repaires de prédilection. Ils peuvent avoir une densité très importante dans la litière et les sols forestiers : une densité allant jusqu’à 350 individus/m² est connue en France, et jusqu’à près de 500/m² dans les forêts primaires de Slovaquie (Jabin 2008 ; Iorio & Pétillon, 2020) ! Ils ont donc un rôle important de régulation des décomposeurs du sol et de la litière (Menta & Remelli, 2020).

En dehors d’une unique espèce méditerranéenne, la grosse Scolopendre ceinturée (Scolopendra cingulata) (illustrée ci-après), les autres espèces françaises sont sans danger pour l’Homme.

Les chilopodes sont les seuls myriapodes dotés de forcipules, des crochets à venin situés sous la tête (ici, les forcipules de Pachymerium ferrugineum)

Chilopode, diplopode, myriapode... comment s'y retrouver ?

Les Myriapodes sont l’ensemble des mille-pattes. Au sein de ce grand groupe, les Chilopodes et les Diplopodes sont les deux classes de mille-pattes représentant le plus d’espèces. Mais alors, comment les distinguer ?

Les chilopodes ne possèdent qu’une seule paire de pattes par segment et ont le corps plutôt aplati, tandis que les diplopodes en ont deux paires par segment et ont le corps souvent très bombé.

Aussi, à l’inverse des chilopodes qui sont prédateurs d’autres invertébrés (larves de divers insectes, collemboles, vers de terre, cloportes, etc.), les diplopodes sont tous phytophages (mangent les plantes) ou saprophages (mangent les matières en décomposition) selon les espèces.

Scolopendra cingulata est un chilopode (corps aplati, une seule paire de pattes par segment) méditerranéen. C'est la seule espèce représentant un danger pour l'Homme en France.
Cylindroiulus broti est un diplopode : son corps est arrondi et il possède deux paires de pattes par segment.

Peu d'espèces, mais des particularités biogéographiques remarquables !

Actuellement, les chilopodes comportent 3327 espèces décrites dans le monde (Bonato et al., 2016) et 150 espèces recensées en France (plus 4 sous-espèces). En  Auvergne-Rhône-Alpes, on peut estimer la diversité des chilopodes locaux à 65 voire 70 espèces environ (53 espèces ont été recensées et une dizaine d’autres sont jugées plus ou moins potentielles en ex-Rhône-Alpes).

40% des chilopodes français sont endémiques ou subendémiques de notre pays, ce qui en fait un des groupes avec le plus fort taux d’endémisme en France. Certaines espèces sont extrêmement localisées, étant endémiques d’un seul département, voire d’un périmètre encore nettement plus restreint !

Des espèces remarquables en Auvergne-Rhône-Alpes et des découvertes probables à faire

Lithobius aberlenci – le Lithobie d’Aberlenc :

Cette espèce – à priori troglophile (qui vit essentiellement dans les grottes) – paraît endémique de l’écocomplexe des gorges de l’Ardèche et constitue donc un enjeu « patrimonial » majeur pour la région.

Elle a été découverte dans les années 2010 lors de sessions de récolte par l’entomologiste local Henri-Pierre Aberlenc et par Jean-Jacques Geoffroy (Muséum national d’Histoire naturelle) (Iorio & Geoffroy, 2019).

Lithobius peregrinus :

Cette espèce – de surface cette foisne semble exister que dans l’écocomplexe de Païolive (Ardèche).

Il existe en effet un hiatus entre la population de Païolive et le reste de l’aire géographique connue pour ce taxon. Celui-ci est globalement peu commun et essentiellement réparti dans le Caucase et le sud-est de l’Europe, jusque dans le nord-est de l’Italie. La population de Païolive est donc excentrée et considérée a priori comme relictuelle (Iorio & Geoffroy, 2019). La région PACA, notamment côté sud-est, a été relativement bien explorée pour les chilopodes et n’a jamais dévoilé L. peregrinus. Il en est de même au nord-ouest de l’Italie.

D’autres espèces encore inconnues restent probablement à découvrir dans certains secteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes ; notamment en Ardèche, mais aussi potentiellement dans le sud de la Drôme, voire peut-être dans le sud de l’Auvergne. Les milieux cavernicoles sont particulièrement concernés, car très peu explorés pour les chilopodes dans ces secteurs, alors qu’ils peuvent potentiellement abriter des endémiques très localisés.

En 2024 et 2025, contribuez à mieux connaitre les chilopodes de la région !

Conscients de l’enjeu que représentent les chilopodes, le Pôle Invertébrés et Etienne Iorio ont initié un projet d’amélioration des connaissances en région Auvergne-Rhône-Alpes. Celui-ci se déroulera sur plusieurs années et aboutira à la publication d’un ouvrage de synthèse.

Ce projet fera l’objet d’inventaires spécifiques, de sciences participatives, de formations, de publications de ressources

L’objectif est double :

  • Mieux connaitre les chilopodes du territoire, pour publier un premier ouvrage de synthèse avec des monographies, et identifier les espèces les plus patrimoniales et à enjeux
  • Former et inciter les réseaux naturalistes à travailler sur ce groupe d’invertébrés, facile à observer et représentant peu d’espèces

Chaque curieux ou naturaliste sera ainsi invité, à partir du printemps 2024, à photographier ou collecter quelques chilopodes sur l’ensemble du territoire régional. Les formations et outils seront communiqués sur le site internet de l’Observatoire tout au long du projet.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter l’animateur du Pôle Invertébrés.

Les chilopodes : un groupe indicateur aux multiples facettes

À l’instar d’autres arthropodes terrestres, les chilopodes occupent de nombreux milieux naturels. Cependant, certaines espèces sont plus spécialistes ou exigeantes (=sténotopes) que d’autres.

Ainsi les forêts caducifoliées fraîches et humides, le plus souvent anciennes abritent spécifiquement certaines espèces sylvicoles. Les milieux cavernicoles abritent certaines espèces  strictement troglobies (ayant des adaptations morphologiques propres à la vie souterraine et ne sortant jamais des grottes). Et enfin certaines espèces halophiles se trouvent exclusivement sur les plages.

Forêt caducifioliée fraîche et humide propice aux chilopodes

En parallèle de ces trois principaux types d’habitats les plus favorables aux chilopodes, quelques espèces méditerranéennes thermophiles privilégient les milieux tels que les pelouses et prairies bien exposées, les garrigues, les boisements clairs, les milieux écorchés et pierreux chauds. À l’opposé, une espèce septentrionale, Lithobius curtipes, est inféodée aux milieux alluviaux (liés aux cours d’eau) temporairement inondables, tels que les forêts alluviales et les prairies marécageuses à proximité immédiate de grandes rivières et de fleuves.

Les chilopodes se sont déjà révélés être de bons indicateurs pour étudier les milieux forestiers et leur gestion, ou encore pour mettre en exergue la sensibilité des milieux littoraux (e.g. Jabin, 2008 ; Iorio et al., 2020). Ils sont sensibles à de nombreuses variables, dont l’acidité du milieu, l’humidité, la température et la structure du micro-habitat (Jabin, 2008 ; Menta & Remelli 2020).

La faculté de dispersion très réduite et l’étroitesse de l’habitat de certaines espèces accentue leur sensibilité aux perturbations (Iorio, 2014 ; Iorio et al., 2020).

Enfin, quinze des 150 espèces françaises ont fait l’objet d’une évaluation préliminaire de leur statut de menaces avec la méthode Liste rouge de l’UICN au niveau national, vérifiée par deux experts de cette méthode (Iorio et al., sous presse). Le constat est sans appel : la plupart de ces quinze espèces ont été jugées comme « vulnérable » ou « en danger d’extinction », notamment certaines liées aux grottes et les halophiles du bord de mer côté Méditerranée.

Conclusions

Les chilopodes, bien que pouvant être jugés « peu esthétiques » par rapport à certains insectes si on se fie uniquement à leur apparence générale, présentent de multiples intérêts pour les naturalistes et gestionnaires d’espaces naturels.

Ils gagneraient à être plus étudiés et mieux connus en Auvergne-Rhône-Alpes. D’une part, leurs particularités de répartition en font d’excellents « outils » de valorisation du territoire et induisent des responsabilités régionales importantes. D’autre part, ils pourraient constituer de bonnes sentinelles de l’état de conservation des habitats naturels.

Enfin, ils restent peu diversifiés en comparaison de nombreux autres groupes d’arthropodes et par conséquent, abordables sans impliquer un investissement et une formation trop importants. A fortiori, un catalogue national (Iorio, 2014) et des clés d’identification récentes sont déjà disponibles pour une partie des chilopodes, notamment l’ouvrage pratique de Iorio & Labroche (2015). Ce dernier permet d’aborder la faune des chilopodes septentrionaux avec nettement plus de facilité qu’avant. D’autres clés pratiques du même type sont en préparation pour l’ex-Rhône-Alpes et PACA.

Ainsi, l’étude des chilopodes est déjà abordable pour tout invertébriste amateur, et elle devrait l’être encore davantage à moyen terme dans notre région. Pour les plus curieux, il est également possible de photographier ou collecter des spécimens rencontrés sur le terrain pour contribuer au projet régional lors des deux prochaines années !

Sources bibliographiques

  • Bonato L., Chagas Junior A., Edgecombe G.D., Lewis J.G.E., Minelli A., Pereira L.A., Shelley R.M., Stoev P. & Zapparoli M., 2016. ChiloBase 2.0 – A World Catalogue of Centipedes (Chilopoda). En savoir plus
  • Iorio É., 2014. – Catalogue biogéographique et taxonomique des chilopodes (Chilopoda) de France métropolitaine. Mémoires de la Société linnéenne de Bordeaux 15: 1-372.
  • Iorio É., Dusoulier F., Soldati F., Noël F., Guilloton J.-A., Doucet G., Ponel P., Dupont P., Krieg-Jacquier R., Chemin S., Tillier P. & Touroult J., sous presse. – Les arthropodes terrestres dans les études d’impact : limites actuelles et propositions pour une meilleure prise en compte des enjeux de conservation. Naturae.
  • Iorio É. & Geoffroy J.-J., 2019. – Étude des chilopodes de Païolive (Ardèche, France) et description d’une nouvelle espèce du genre Lithobius Leach, 1814 (Myriapoda, Chilopoda). Bulletin de la Société entomologique de France 124 (2): 109-126. En savoir plus
  • Iorio É., Geoffroy D. & Pétillon J., 2020. – Distribution and indicator value of intertidal centipedes from Mediterranean beaches within and around Port-Cros National Park (Southern France), with proposal of a simplified monitoring (Chilopoda). Bulletin de la Société entomologique de France 125 (1) : 41-62. En savoir plus
  • Iorio É. & Labroche A., 2015. – Les chilopodes (Chilopoda) de la moitié nord de la France : toutes les bases pour débuter l’étude de ce groupe et identifier facilement les espèces. Invertébrés armoricains 13 : 1-108.
    En savoir plus
  • Jabin M., 2008. – Influence of environmental factors on the distribution pattern of Centipedes (Chilopoda) and other soil Arthropods in temperate deciduous forests. Göttingen, Cuvillier Verlag, 128 p.
  • Menta C. & Remelli S., 2020. – Soil health and Arthropods: from complex system to worthwhile investigation. Insects 11: 1-21. Doi: 10.3390/insects11010054

Illustrations

  • Etienne Iorio